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Plutôt que d'en rester à quelques allusions disséminées
dans le texte principal sur les Minamoto et les Taira, la densité
et la quantité d'informations et de détails qu'on
trouve dans les volumes 7 et 8 de Phénix d'Osamu Tezuka
(disponibles chez Tonkam) me poussent à y consacrer une
petite page spéciale.
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Phénix est à
la base LA saga épique d'Osamu Tezuka, souvent
présentée comme son oeuvre ultime. Comptant
12 volumes (11 dans l'édition française,
Tonkam ayant jugé le 12ème volume, regroupant
des travaux plus anciens de Tezuka, non nécessaire),
cette fresque philosophique, hymne à la vie, utilisant
le mythe du Phénix, l'oiseau qui renaît de
ses cendres et dont le sang apporterait la vie éternelle,
navigue au fil des volumes parmi de nombreuses époques,
allant de la création de la Terre aux temps futurs
en passant par le Japon de l'ère Yamato.
Les volumes 7 et 8 se concentrent donc sur la lutte entre
les Taira et les Minamoto. L'histoire commence en 1172,
alors que Taira no Kiyomori est au pouvoir et que les
Minamoto survivants des guerres d'Hôgen et d'Heiji
pansent leurs plaies et préparent leur vengeance
qui s'accomplira dans un bain de sang.
Tezuka met en image d'une manière extrêmement
détaillée cette partie de l'histoire du
Japon et y insère avec habilité la légende
du Phénix, amenant les hommes de pouvoir à
courir derrière toujours plus de puissance, derrière
la vie éternelle. Voilà quelques petites
références historiques: |
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On parle souvent d'empereur
retiré. C'est ce qu'on appelle l'insei.
C'est l'empereur Shirakawa qui mit en place cette pratique
en 1087 afin d'affaiblir le pouvoir des Fujiwara, alors
très présents à la cour impériale
et régnant quasiment à sa place. L'empereur
alors en place se retire dans un monastère, un
autre empereur est nommé mais c'est l'empereur
retiré qui garde en fait le pouvoir. La particule
-in est ajoutée à la fin de son nom pour
indiquer son statut d'empereur retiré. Le système
s'arrêtera quand les Minamoto prendront le pouvoir
mais l'idée fera son chemin. Ainsi les Ashikaga
au XVème siècle utilisèrent le même
procédé: Ashikaga Yoshimitsu, alors shôgun,
se retira en 1395 en faveur de son fils mais il garda
tout de même une partie du pouvoir, notamment du
côté des relations avec la Chine. De même,
Tokugawa Ieyasu quitta le poste de shôgun en 1605
en faveur de son fils Hidetada mais celui-ci n'eut vraiment
le pouvoir qu'à la mort de son père en 1616.
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Shunkan, religieux bouddhiste,
demande à Myô-un, supérieur de la
secte Tendai, de l'aider à renverser Taira no Kiyomori.
En effet, Shunkan appartient à la famille Minamoto.
Mais le complot qu'il avait mis au point avec l'empereur
retiré Shirakawa ayant été découvert,
il fut condamné à l'exil dans une île
de la baie de Kagoshima en 1177. |
ANTOKU,
L'ENFANT-EMPEREUR |
Tout comme les Fujiwara à
leur époque de grandeur, Taira no Kiyomori veut
s'approcher au plus près de l'empereur en mariant
sa fille Tokuko à Takakura Tennô (l'empereur
de l'époque, donc), dans le but d'y gagner un héritier
de son sang sur le trône. Ce sera chose faite en
1178 quand Tokuko accouchera d'un fils, Antoku. Mais celui-ci,
à l'âge de 7 ans, mourra noyé à
la bataille de Dan-no-ura remportée par les Minamoto
quand sa nourrice se jettera dans les flots en le portant
dans ses bras. Tokuko survivra à cette bataille
et se fera religieuse bouddhiste. |
Dans le manga, le supérieur
de la secte Tendai établie dans le temple Enryakuji,
Myô-un, rencontre Benta à Kyôto. L'étonnant
personnage du bûcheron lui donne l'idée d'écrire
un roman dont le héros serait un religieux brutal,
un colosse du nom de Benkei. On retrouve le personnage
de Benkei effectivement dans de nombreux récits
sur les Taira et les Minamoto: un bouddhiste d'une force
extraordinaire vaincu par Minamoto no Yoshitsune (que
le Benta du manga rencontre au temple du mont Kurama où
le jeune homme a été élevé),
devenu son serviteur et qui se suicidera à la mort
de son maître. |
Tezuka nous montre le supérieur
du temple Enryakuji Myô-un, en train de peindre
sur des rouleaux des dessins humoristiques raillant la
société des humains sous la caricature d'animaux.
Il demande alors à Toba Kakuyû, autre religieux,
de signer à sa place. Et effectivement, l'histoire
retiendra Toba Kakuyû comme l'auteur de ces dessins,
intitulés Chôjû Giga, même
si certains doutent qu'il ait été le seul
à y travailler... |
Ushikawa s'appelle en fait
Minamoto no Yoshitsune, demi-frère de Yoritomo,
fils de Yoshitomo. Il a été élevé
au temple du mont Kurama par des religieux (la légende
dit que ce seraient des Tengu, démons du panthéon
bouddhiste experts en génie militaire, qui lui
auraient enseigné leur secrets de combat et de
stratégie). Il était accompagné lors
de ses campagnes contre les Taira par un religieux-brigand
du nom de Benkei (chez qui on reconnaît donc Benta
le bûcheron). Son génie tactique permettra
à son demi-frère de gagner le pouvoir. Celui-ci
le lui rendra bien mal puisqu'il le fera pourchasser et
assassiner. |
KIYOMORI
ET GIÔ LA DANSEUSE |
Taira no Kiyomori, apprenant
la réelle origine de sa concubine préférée,
lui avoue avoir un faible pour les filles du peuple, lui
parlant de son amour de jadis pour une danseuse du nom
de Gio. Cette histoire n'est pas sans rappeler la chanson
du vieux troubadour qu'Ikkyû entend, contant la
vie des deux soeurs Giô et Ginyo, danseuses favorites
de Taira no Kiyomori avant de se faire chasser par une
rivale... |
Le premier membre de la famille
Taira à découvrir Obou qui va être
exécutée s'appelle Taira no Munemori. Fils
de Kiyomori, il prendra la tête du clan à
la mort de son père et participera à la
bataille de Dan-no-ura après avoir fui Kyôto
en emmenant le petits Antoku, son neveu et jeune empereur.
Il sera finalement capturé (comme d'ailleurs signalé
dans le rapport que reçoit Yoritomo à la
fin de la bataille de Dan-no-ura dans Phénix 8)
et exécuté, Yoritomo refusant de le recevoir.
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Lors de la bataille de Dan-no-ura,
Taira no Tomomori, quatrième fils de Kiyomori,
périra en se jetant dans les flots. Son histoire
fera l'objet de pièces de Nô (forme aristocratique
du théâtre dansé et chanté)
et Kabuki (théâtre populaire), Funa Benkei.
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KISO
YOSHINAKA ET TOMOE GOZEN |
Kiso Yoshinaka est en fait
un Minamoto, frère (ou cousin, selon les versions)
de Yoritomo et Yoshitsune. Il fait fuir les Taira de Kyôto
qui emportent alors Antoku, le jeune empereur. Il tue
le supérieur Myô-un du temple Enryaku-ji.
Mais il finit pourchassé par Yoshitsune sur les
ordres de Yoritomo, car étant un peu trop puissant.
Il semblerait qu'il fût tué par une flèche
alors qu'il comptait se faire seppuku.
Sa compagne s'appelle Tomoe Gozen. Elle est devenue une
véritable légende vivante de par son courage
et sa force, étant selon "Le dit de Heike"
une des rares femmes samouraïs qui combattit aux
côtés de son compagnon sur les champs de
bataille, aussi douée avec un arc qu'avec une nagitana
(hallebarde japonaise dont on la voit se servir dans Phénix
8 page 121). Elle survécut à son compagnon,
peut-être est-elle devenue religieuse bouddhiste
ou mariée. Légende ou fait réel ?
Rien n'est vraiment sûr...
A noter que le dessinateur Stan Sakai explique que le
personnage de la guerrière chatte Tomoe Ame dans
sa BD Usagi Yojimbo est directement inspiré
de Tomoe Gozen. |
Petite digression historique
comme se plaît Tezuka à en faire, jouant
sur les anachronismes avec malice: mention de Takeda Shingen
par les compagnons de Benta pendant la bataille de Dan-no-ura.
Takeda Shingen ne naîtra qu'en 1521 (soit 336 ans
plus tard), deviendra un daimyô (seigneur de larges
territoires et avec de nombreux vassaux) puissant et mourra
en s'opposant (avec succès d'ailleurs) à
Oda Nobunaga. |
Toutes les images ci-dessus sont © Tezuka / Tonkam et
ne servent ici qu'à aider à une meilleure compréhension
de l'oeuvre Phénix.
La source principale des explications données est "Le
Japon, Dictionnaire et civilisation" de Louis Frédéric
Editions Robert Laffont.
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